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Nous espérons vous trouver toutes et tous en bonne santé et sous souhaitons que le confinement ne vous pèse pas trop.
Nous sommes en train de vivre une parenthèse dans le temps, propice à la réflexion, au questionnement. Comme si tout s'était arrêté autour de nous : la libre circulation, le travail, l'école, les loisirs, l'activité humaine... et le comble, c'est que nous ne l'avons pas choisi ! Nous nous cantonnons désormais à l'essentiel : une sorte d'hibernation au printemps.
Cette période est noire car à l'heure du bilan, beaucoup de personnes sortiront victimes, directes ou indirectes, de ce virus : ils auront perdu des proches, souffert de la solitude, été touchés par la précarité professionnellement ou se seront retrouvés dans l'incertitude. Nous ne faisons pas exception à la Grange aux Paysages et nous pensons en particulier à nos salariés, mais également à notre mission de sensibilisation, interrompue comme tout le reste, en berne et en attente de jours meilleurs. Tout cela à cause d'une particule, parmi les plus petites qui soient, mais qui est parvenue à mettre à mal tout notre système économique et sanitaire.
Nous nous sommes crus invincibles : l'homme a domestiqué sa planète, qu'il a marquée de son empreinte et transformée par son activité. Rien ne semblait pouvoir l'arrêter... une petite particule nous a rappelé notre vulnérabilité ! Beaucoup de scientifiques s'accordent à dire que les virus, qui comme les bactéries peuplent par milliards les êtres vivants comme le nôtre, sont probablement les principaux vecteurs de l'évolution. Ils étaient là parmi les premiers organismes et seront encore présents longtemps après la disparition de l'espèce humaine. La primauté de notre espèce, importante par son impact sur son milieu, est donc relative, et pose également la question de notre place, notre rôle sur la Terre : ce rôle n'est-il pas de transmettre à tous ses hôtes, dont nos descendants, une planète sur laquelle on peut vivre dans de bonnes conditions ? Ce qui est certain, c'est que de par notre pouvoir et nos technologies, nous avons une responsabilité première envers ce qui nous entoure. Notre anthropocentrisme a tendance à faire le vide autour de nous et à nous couper de notre environnement ; pourtant, ce lien est crucial et nécessaire à notre survie. La question, dans les prochaines décennies, pourrait être de savoir si notre pouvoir de destruction l'emportera sur notre pouvoir de maintien d'un équilibre nécessaire à la vie...
Autre questionnement : nous avons souvent tendance à chercher un responsable. Alors, la faute à qui, cette fois ? Au coronavirus ? À la malchance ou au destin ? À la chauve-souris ou au pangolin ? Ne jetons pas l’opprobre sur nos amies les bêtes, vecteurs involontaires de l'émergence de la maladie dans l'espèce humaine. Les virus et les maladies qui peuvent en découler ont toujours existé ; la grande différence, pour l'épidémie de Covid 19 est que de par son grand pouvoir de contagion, il se transmet particulièrement facilement... mais c'est bel et bien l'homme qui a créé les conditions idéales pour que le virus se propage. Jusque là, les maladies virales sont souvent restées endémiques, confinées (elles aussi!) dans des zones restreintes, mais notre mode de vie « nomade », la facilité avec laquelle nous nous déplaçons sur notre planète, ont permis à cette particule de devenir rapidement un fléau mondial... en somme, de par nos habitudes, nous avons construit une autoroute à ce virus, qui n'en demandait pas tant. Peu importe à qui la faute, l'important est bien la leçon qu'on en tire...
Autre réflexion : ce qui est marquant en cette période de confinement, c'est la notion de temps qui a évolué : ce temps est comme suspendu, dirait-on ! Non pas que le temps se soit arrêté : les arbres en fleurs à tour de rôle, le développement de la nature en général, nous donnent la preuve que le temps s'écoule normalement (et que la nature peut très bien continuer sans l'homme !) Peut-être que dans ces conditions particulières, nous sommes en mesure de concevoir le temps autrement, dégagés du stress lié à l'activité humaine ? Aurions-nous fait la paix avec le temps ? Est-ce notre façon d'habiter le présent qui est modifiée ? Prenons-nous davantage le temps de vivre ce présent plutôt que de nous projeter sans cesse dans l'avenir ? Nous qui courons toujours après le temps, sans pouvoir nous en saisir, pouvons enfin l'appréhender autrement... peut-être est-ce de posséder le temps qui rend l'homme libre ? Loin de la passivité, cet arrêt de la respiration de l'activité humaine incite à la réflexion : Où nous mène finalement cette fuite en avant perpétuelle ? Quelle direction prenons-nous ? Vers quoi nous mène notre société ? Et qui la guide ? Cette parenthèse nous aura au moins permis de nous arrêter pour prendre un peu de recul, lever la tête et froncer les sourcils sur notre parcours...
Ce qui est rassurant et porteur d'espoir, c'est l'esprit de solidarité qui s'est exprimé lors de cette catastrophe sanitaire : combien de volontaires, de bénévoles, ont contribué à combattre la maladie ou ses conséquences par diverses initiatives citoyennes ? Citons la fabrication et la distribution de masques en tissu, la prise en charge des personnes à risque (courses, lutte contre l'isolement...), l'aide aux soignants, qui s'exposent pour la communauté, et la liste est encore longue... Combien de personnes ont ainsi permis que les conditions de vie de leurs concitoyens, souvent les plus fragiles, demeurent les moins astreignantes possibles ?
Une dernière réflexion : il est regrettable que ce ne soit que dans l'urgence que l'homme est capable de prendre les mesures nécessaires pour limiter l'effet des catastrophes. Mais qu'en est-il de l'urgence climatique ? de l'urgence démographique ? Malgré les nombreuses preuves scientifiques du bien fondé du phénomène de dérèglement climatique, avec ses conséquences sur les populations, sur la biodiversité, les phénomènes climatiques incontrôlés, les décisions politiques nécessaires s'effacent devant une économie prioritaire, dont il faudra repenser les rouages après cette alerte pour la rendre plus solidaire, plus juste, plus locale, plus proche de nous. La nécessité du principe de proximité a bien été mise en évidence et reconnue par les politiques, mais il faudra aller plus loin. Où se situe le seuil de tolérance au-delà duquel des décisions seront prises ? Cette crise, qui sonne comme un avertissement, suffira-t-elle pour une prise de conscience globale et salvatrice ? Serons-nous capables de nous réinventer en sortant de l'hibernation ? Espérons que nous tirerons tous les enseignements de ce douloureux épisode et que nous ne foncerons pas tête baissée pour rattraper « le temps perdu » et en fin de compte pour retomber dans les mêmes schémas et les mêmes travers. Il faudra la vigilance de tous les citoyens, il faudra peser de tout notre poids, pour que la ligne de vie de l'humanité, qui a ralenti son tracé en cette période où elle cherche son chemin, infléchisse son tracé et emprunte un chemin plus solidaire.
Alexis Reutenauer, Président de l'association la Grange Aux Paysages, Mercredi 29 avril 2020.